Traité-Racine des Enseignements Complémentaires de la Grande Essence Perlée

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Le Traité-Racine des Enseignements Complémentaires de la Grande Essence Perlée (sNying thig chen mo’i rgyab chos kyi rtsa ba) སྙིང་ཐིག་ཆེན་མོའི་རྒྱབ་ཆོས་ཀྱི་རྩ་བ།

Signification littérale

snying thig: Essence Perlée; —chen mo’i: grande + marque du génitif; —rgyab chos: enseignements complémentaires; —kyi: marque du génitif; —rtsa ba: (Traité-)racine.

Définition

Ce texte appartient au corpus du Khandro Nyingthik de Pema Ledrel Tsel et s’avère être l’un de plus longs du cycle. Il couvre l'ensemble des principes de la Base (gzhi), de la Voie (lam) et du Fruit (‘bras bu) du Dzogchen, même si sa section sur la pratique principale (dngos gzhi, § 7 ci-dessous) est relativement courte. Il suit vaguement la structure des Onze thèmes (Tshig don bcu gcig pa) de Zhang Nyima Bum (1158–1213).[1] Ses dix subdivisions principales concernent : 1. la manière dont l'état naturel s’exprimait avant l'existence du Saṃsāra et du Nirvāṇa, 2. la manière dont l’égarement est apparu, 3. la manière dont le Plein Eveil est atteint, 4. le sanctuaire où ce Plein Eveil demeure à l'intérieur du corps, 5. la voie par laquelle il se déplace, 6. la porte d’émergence par laquelle il se manifeste et l'objet dans lequel il rayonne, 7. la manière de pratiquer, 8. la manière dont les expériences s'accroissent, 9. la manière dont le Fruit est obtenu, et 10. la confrontation aux obstacles potentiels.

[1]. Avant l'avènement du Saṃsāra et du Nirvāṇa, l'état naturel de l'esprit s’exprimait à la manière d'une Sagesse naturellement lumineuse et omnipénétrante. Cette Sagesse est définie comme l'indifférenciation du Vide et de la Clarté (stong gsal) et correspond en fait à la somme des Trois Sagesses primordiales, autrement dit à l'Essence (ngo bo), à la Nature (rang bzhin) et à la Compassion (thugs rje).

[2]. L'égarement (‘khrul pa) apparaît en raison de la non-reconnaissance de la Sagesse spontanée de l'état naturel comme formant notre propre Sagesse. Ainsi, l'égarement s’élève d'un état qui était, avant cette non-reconnaissance, totalement dépourvu d'égarement. Son avènement a produit le mode de l'ignorance (ma rig pa) caractérisant l'état ordinaire de l'esprit (sems), affligé par les saisies dualistes, les cinq poisons, etc. En raison de l’émergence ces derniers, la conscience non incarnée a généré un profond désir d’obtenir un corps matériel et s’est mise en quête d’une matrice pour prendre naissance. Au sein de cette matrice, le corps obtenu, constitué des quatre éléments, passe par différentes étapes embryonnaires dans l’utérus de la mère, étapes au cours desquelles se sont formé les canaux (rtsa), les souffles (rlung) et les biṇḍus (thig le), ainsi que les roues (‘khor lo).

[3]. Dans le corps de l'individu, le Plein Eveil s’exprime sous la forme d'une infinité de déités paisibles et courroucées, de Buddhas, de Héros (dpa' bo) et de Ḍākinīs, qui gorgent tous les canaux, les roues, etc. Dans cette perspective, le corps est défini comme le maṇḍala des Vainqueurs. Ainsi, à l'intérieur du corps, l'Essence de l'état naturel s’exprime comme un Espace primordialement pur et exempt de proliférations. Au sein de cet Espace, la Nature de l'individu se manifeste dans les multiples manifestations des cinq Sagesses (ye shes lnga), des cinq Corps (sku lnga), des cinq lumières (‘od lnga), des cinq souffles (rlung lnga), des cinq éléments (‘byung ba lnga), des cinq éclats (dangs ma lnga), des cinq agrégats (phung po lnga), les cinq déités principales (gtso bo lnga), leurs cinq syllabes (yi ge lnga), les cinq Buddhas (sangs rgyas lnga), les cinq Ḍākinīs (mkha' 'gro lnga) et les cinq Connaissances Sublimées (shes rab lnga). Fondamentalement, cet ensemble est produit à partir des cinq Sagesses. Au niveau de la Base, ces cinq Sagesses procèdent de la Sagesse du Discernement (rig pa'i ye shes), de la manière suivante :

— la Sagesse semblable au Miroir provient de l’éclat incessant de l'Essence de la Sagesse du Discernement, se manifestant comme immaculée, omnipénétrante, incessante et rayonnante ;
— la Sagesse de l'Egalité s’élève en raison du fait que cette Essence n'est pas fragmentée en quoi que ce soit et demeure donc continuellement égale ;
— la Sagesse Discriminante vient des multiples aspects de l'intellect qui surgissent individuellement au sein de cette égalité ;
— la Sagesse d'Accomplissement des Activités provient des qualités inhérentes à tout ce qui s’élève au sein de cette condition ; et
— la Sagesse de l'Espace Absolu provient du dynamisme naturel de notre propre Réalité vide.

Parmi les modalités quintuples énumérées ci-dessus, les cinq éléments représentent les manifestations extérieures des cinq Sagesses elles-mêmes. Intérieurement, ils apparaissent comme les cinq agrégats. Secrètement, ils se manifestent sous la forme des cinq éclats. Au niveau secrétissime, ils apparaissent comme les cinq syllabes-germes, et au niveau insurpassable, ils se manifestent comme les cinq Ḍākinīs.

Les cinq Connaissances Sublimées mentionnées ci-dessus sont les cinq modalités de l'Essence du Discernement (rig pa'i ngo bo). Il s'agit de 1. la Connaissance Sublimée qui différencie (‘byed pa'i shes rab) le Saṃsāra d’un côté et le Nirvāṇa de l’autre ; 2. la Connaissance Sublimée qui rassemble (sdud pa'i shes rab) tout ce qui se trouve dans l'état du Discernement ; 3. la Connaissance Sublimée qui embrasse (khyab byed kyi shes rab) toutes choses au sein de l'Essence du Discernement ; 4. la Connaissance Sublimée qui déplace (bskyod pa'i shes rab), permettant ainsi les mouvements du souffle de la Sagesse (ye shes kyi rlung) au sein de la Clarté de l'état naturel; et 5. la Connaissance Sublime qui libère (grol ba'i shes rab) le Saṃsāra et le Nirvāṇa au sein la Sagesse du Discernement.

[4]. L'état naturel englobe le corps tout entier, ses quatre ou cinq roues, ses nombreux canaux, etc. Plus précisément, il réside dans la précieuse Citadelle du cœur (tsitta rin chen gzhal yas),[2] et dans la Citadelle du crâne (bandha'i gzhal yas).[3] La première est le sanctuaire des divinités paisibles, tandis que la seconde est celui des divinités courroucées.

[5]. Sa voie est celle du Fil de Soie Blanche (dar dkar skud pa), un canal de lumière reliant le cœur aux yeux.

[6]. La porte d'émergence ('char sgo) par laquelle se manifeste l’éclat du Discernement correspond aux yeux (mig, cakṣuḥ) et plus précisément à la pupille (a 'bras). Dans le vocabulaire typique du Dzogchen, cette porte d'émergence est appelée la Lampe d’Eau du Lointain-Lasso (rgyang zhags chu'i sgron ma). L'objet ou le domaine dans lequel les visions de l'état naturel apparaissent est l'Espace visionnaire (dbyings) qui est contemplé sur le miroir du ciel extérieur. En d'autres termes, le ciel extérieur est comme un miroir sur lequel on contemple le déploiement "intérieur" de l'Espace visionnaire lui-même. Cela signifie que cet Espace n'est pas le ciel extérieur. Ce dernier n'est que le miroir du premier.

[7]. La pratique proprement dite consiste à regarder le "miroir de Vajra Ḍākinī" (rdo rje mkha' 'gro'i me long), c'est-à-dire le ciel sans nuage, afin de contempler les visions des chaînes adamantines du Discernement (rig pa rdo rje lu gu rgyud). Ces visions naissent de l'état non né et vide de la Base et se traduisent spontanément par l’émergence de manifestations lumineuses quinticolores. Ainsi, voir ces visions équivaut à voir les cinq Ḍākinīs : 1. voir la lumière bleue, c'est voir Buddha Ḍākinī et purifier la nescience (gti mug) ; 2. voir la lumière blanche, c'est voir Vajra Ḍākinī et purifier la colère-aversion (zhe sdang) ; 3. voir la lumière jaune signifie voir Ratna Ḍākinī et purifier l'orgueil (nga rgyal) ; 4. voir la lumière rouge signifie voir Padma Ḍākinī et purifier le désir-attachement (’dod chags) ; et 5. voir la lumière verte signifie voir Karma Ḍākinī et purifier la jalousie. Cela correspond à la Vision de la Réalité Manifeste (chos nyid mngon sum gyi snang ba), la première des Quatre Visions (snang ba bzhi) du [[Franchissement du Pic (thod rgal).

[8]. Les expériences décrites dans cette section du texte concernent principalement des expériences visionnaires (snang nyams), c'est-à-dire des visions quinticolores de formes et de Thiglés variés, dont le nombre et l'intensité augmentent jusqu'à ce que ces visions se manifestent jour et nuit. Lorsqu'elles atteignent leur paroxysme (tshad), ces visions apparaissent comme le déploiement des maṇḍalas des cinq Ḍākinīs émergeant dans toutes les directions. Après ce stade, les visions atteignent leur épuisement (zad pa) et le corps se résorbe en lumières.

[9]. Pour ce qui est du Fruit, il existe deux types de Plein Eveil qui peuvent être obtenus, à savoir le Plein Eveil Parfait et Authentique (yang dag par rdzogs pa'i sangs rgyas) et le Plein Eveil Parfait et Manifeste (mngon par rdzogs pa'i sangs rgyas). Avec le premier, au moment de finalement parachever la Voie, les manifestations des éléments se dissolvent en Sagesses, jusqu'à ce que les agrégats finissent par se résorber entièrement, sans aucun reste matériel. Avec le second, au moment de la mort, le corps se transmute en lumières, tandis que des sons résonnent dans l'atmosphère et que des reliques se retrouvent dans les cendres de la crémation.[4]

[10]. Lorsque des obstacles potentiels empêchent de parfaire la Voie, si l'on a contemplé les visions du Discernement au cours de sa vie, on devrait aisément les reconnaître pendant le Bardo de la Réalité (chos nyid bar do). Cette reconnaissance devrait permettre d'atteindre instantanément le Plein Eveil.

La dernière section du texte contient une brève description de la transmission de Samantabhadra à Padmasambhava, ainsi que quelques déclarations prophétiques concernant la naissance de Pema Ledrel Tsel (sous le nom de Tsültrim Dorje), etc. Le colophon final indique que le texte a été révélé par Tsültrim Dorje à Tramo Drak sur la montagne de Danglha pendant l'automne de l'année féminine du bœuf (chu mo glang), c’est-à-dire 1313 AD.

Notes

  1. Sur ce texte, voir Achard, “ Zhang Nyi ma ‘bum (1158–1213) et le développement des sNying thig au 12e siècle”, passim.
  2. Qui, comme son nom l'indique, est située dans le cœur
  3. Egalement connue sous le nom de Demeure de Nacre (dung khang).
  4. Ou bien sont découvertes dans les vêtements du défunt lorsque son corps se dissout entièrement en lumières.

Références

  1. mKha’ ‘gro snying thig (sNying thig ya bzhi, Delhi, 1975), vol. 1 pp. 411-474.
  2. “Zhang Nyi ma ‘bum (1158–1213) et le développement des sNying thig au 12e siècle”, in Revue d'Etudes Tibétaines, no. 44, Etudes rDzogs chen, volume II, sous la direction de Jean-Luc Achard, Mars 2018, pp. 231-257.

http://himalaya.socanth.cam.ac.uk/collections/journals/ret/pdf/ret_44_08.pdf


Jean-Luc Achard 26 septembre 2024 à 17:27 (CEST)